Le matin :
Tu fais quel état des lieux là ? me demande une collègue à l'accueil.
Un truc vers la douane, un T2, locataire Rigaulo.
Ahhhh ma pauvre ! Le pire locataire que l'on ait jamais eu je crois ! Et toutes de me dire combien il était désagréable, pire grossier, épouvantable, pénible... une horreur.
Bon... voilà... j'ai cinq minutes de voiture pour me persuader que ce n'est pas grave, que cela passera vite, que la vie n'est pas que ça que, que... Je roule et respire lentement avec le ventre, conduite calme, sourire accroché comme un mantra, ce n'est pas grave, ce n'est rien... Je me gare, sors de la voiture, me casse la gueule direct sur un flaque d'eau grasse,
début de tempête et fatigue, ce n'est pas grave, ce n'est pas grave.
Ils ne sont pas encore là, j'en profite pour repérer la boîte aux lettres, la vider du courrier du locataire précédent et je les vois arriver, les deux, débordant de bonne humeur, grands sourires, la main tendue, s'excusant de ces cinq minutes de retard.
Tout de suite je les ai trouvés sympathique, tellement heureux de pouvoir enfin quitter leur hôtel, tellement gentils tout le long de l'état des lieux. Deux heures qui m'ont donnée la force pour celui de l'après midi qui promet d'être cauchemardesque.
Je les quitte à midi pile, ils me remercient, me félicitent pour mon professionnalisme, et je rentre à la maison en chantonnant.
L'après midi :
Courage Valérie, courage. Je n'entends que cela en traversant les bureaux. Je pars vers l'état des lieux reporté juste avant la nouvelle année, les locataires ayant refusé sur place de le faire puisqu'ils devaient payer jusqu'au cinq janvier.
Depuis qu'ils sont entrés ils mènent une bataille sans fin contre le syndic de la copropriété, contre la gérance, contre la compta, contre le propriétaire. Ils sont très très énervés et j'en ai eu un aperçu le 30, je sais qui je vais rencontrer, je respire, sors le ventre, souffle doux et lent tout au long du chemin.
Ce n'est pas grave, ce n'est rien, le vent s'affole dans les arbres, la pluie fouette le pare brise, en sortant de la voiture je marche précautionneusement.
J'attends devant la porte du 4ème, un peu en avance, ils arrivent en montant les marches rapidement, ils sont là et je les accueille tout sourire. Eux aussi, charmants et beaux, les deux.
Nous ferons ensemble un état des lieux, si agréable, que j'aimerais le prolonger encore un peu, juste pour me dire que la vie décidément me réserve d'agréables petits bonheurs en ce début d'année.